11 juillet 2008

Nouvelle de Jean-Claude Boyrie (1° partie)





Les ombres ne meurent que deux fois.



Soudain, un visage qui s'encadre, en larmes, dans la vitre de la fenêtre...

Ce n'était qu'une illusion. Le visage est un reflet, la fenêtre une étrange lucarne; en fait, l'écran d'un téléviseur qui défile en boucle une interview. Le récit d'une femme. Les larmes sont celles de l'émotion contenue. Celle qui témoigne est une personne ordinaire, entre deux âges, celle qu'on croise dans la rue, que l'on côtoie au bureau. Ni starlette, ni politicienne. Elle est fille de réfugiés politiques espagnols.

De quoi parle-t-elle? De la grande retraite de 1939, la « Retirada ». La guerre civile a scellé le destin de sa famille. Ces évènements, elle ne les a pas vécus, bien sûr, elle n'était pas née. Elle ne fait que dire et redire ce qu'on lui a maintes fois raconté. Garder la mémoire des siens, retrouver ses racines, c'est important. Le témoignage de la femme relaie celui de parents aujourd'hui disparus. Quand ils ont passé la frontière, ils avaient vingt ans.

Où ça, la frontière? Tout le monde pense aux foules qui se sont engouffrées au Perthus ou à Cerbère. A juste raison: ces cols où l'on se bouscule aujourd'hui pour acheter de l'alcool et des cigarettes ont vu passer le gros de la troupe des réfugiés. Ceux-là étaient tout de suite bons pour les camps: Argelès, Le Barcarès, Rivesaltes... autant de lieux isolés, hâtivement aménagés par les autorités d'alors en camps « d'accueil » et couverts à cette fin de baraquements de fortune.
Ceux qui se croyaient rescapés de l'enfer avaient trouvé le purgatoire de l'autre côté.

D'autres, plus courageux ou mieux avisés, avaient choisi la « porte étroite ». Autrement dit, les sentiers muletiers, les « drailles ». Le passage en montagne n'était pas sans danger. Une mauvaise chute est vite faite sur un parcours escarpé, surtout quand on n'est pas entraîné. En plus, on n'y voyait rien. Tout éclairage intempestif eût exposé les fugitifs au feu d'une patrouille frontalière. Pas question non plus de récupérer les blessés. Les « passeurs » ne prenaient pas de risque, abandonnant ces malheureux au bord du chemin.

Bravant le couvre-feu, les parents de la narratrice étaient partis nuitamment de Sant Llorenç de la Muga. (alt Empurda) De là, par Albanyà, ils avaient remonté le cours du Rio Muga pour se retrouver au petit jour en territoire français, id est: le Vallespir, quelque part entre Coustouges et Lamanère. Le point de ralliement du petit groupe, enfin ce qu'il en restait, se trouvait au « conjurador » de Serralongue. Un étrange édicule sur une butte. Monsieur le Curé venait là faire oraison pour conjurer l'orage quand l'horizon se couvrait, assombri par de nuées. Ce jour de 1939, l'orage était sur l'Espagne.

L'histoire pourrait s'achever là, que dire de plus? La femme a fini son récit. Elle parle d'une voix calme, on dirait monocorde, elle parle sans haine, sans passion. Elle n'a pas d'accent non plus, si ce n'est celui de Toulouse, où elle est née et où elle vit. C'est là que ses parents se sont établis après les évènements. Elle ajoute quand même un fait supplémentaire, juste un détail : en 42, son père a pris le maquis, il a rejoint les partisans, risqué sa vie, lui, l'étranger, pour la France. Ce pays qui l'avait si mal reçu pendant la « Retirada ». Soixante cinq ans après, elle, sa fille, se sent pourtant Française, de naissance et d'adoption. Ce soir, elle veut témoigner, voyez-vous, seulement témoigner....


Une main qui tape, tape, tape...

Coups de marteau dans la solitude, appel sourd, coups du destin. Une main accroche des photos jaunies sur les panneaux d'exposition. Aujourd'hui, 15 septembre 2007, le camp de Rivesaltes revit pour les Journées du Patrimoine. Le Conseil général entend faire de ces baraquements un Mémorial, un « lieu de souvenir ». Normal, la repentance est un terme à la mode, au catéchisme, on appelait ça l'acte de contrition. Au fond, rien de très dérangeant pour quiconque, encore faut-il savoir qui doit se souvenir (ou se repentir) et de quoi. Rivesaltes n'avait rien d'un camps d'extermination. Nous, on était de bons Français, on n'a tué personne, sinon par omission, pas exprès. Nos frères Espagnols ne faisaient que passer. On les a fourrés là où il y avait de la place. Sauf qu'on les a parqués comme du bétail dans les pires conditions d'hygiène. On les a laissés pourrir sur place, crever de misère et de maladie, parfois même s'entretuer. Car, c'est triste à dire, parmi cette horde de réfugiés, il y a eu des règlements de compte entre factions rivales. Il faut être objectif quand on écrit l'histoire.





A suivre

Nouvelle de Jean-Claude Boyrie (2° partie)














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