20 avril 2007

Poème de Valéry Meynadier




Ce poème est extrait du roman « Dans la Gueule des Louves » : histoire d’un modèle vivant, Cora Orgone, qui sort de prison et sillonne les rues de Paris. En travaillant, elle se réhabilite et rencontre l’amour au détour d’un atelier. Le « chœur », c’est son cœur, son cœur à elle palpitant qui renaît à la vie, à la liberté et qui observe en dehors de tout.





Le choeur des Modèles

Qu’est ce que vous croyez! Vous ignorez tout de nous!
Vous croyez savoir, vous ne savez rien.
Nous digérons le mouvement du monde.
Nous sommes le point d’ancrage du silence.
Vous croyez qu’êtres immobiles, c’est ne rien faire!
Bien au contraire!
On broie du blanc pour vous.
Nous sommes au commencement des toiles.
Nous sommes l’énergie blanche de vos nuits solitaires.

Beaucoup d’entre vous disent qu’on est des rien du tout,
tout juste des vers-luisant.
Un peintre connu sur la place de Paris tombe amoureux de son modèle.
Aussitôt lui demande de changer de métier !
Voyez-vous ça ! Il a honte de qui l’inspire ! La gratitude est un sentiment complexe.
Mais le modèle n’a pas d’état d’âme.
Qu’importe votre honte, votre jalousie...
Pauvres petits choux, vous croyez qu’on vous nargue?
A la merci d’une nudité, vous voici!
Sous vos dehors tintamarresque,
vous vous retrouvez jeune adolescent en disgrâce.


“ Viens, écoute, là, doucement, je vais te faire une confidence : entre l’orgueil et la consolation,
il y a la femme.
La femme et ses perspectives infinies.
Mère Putain Soeur -
Le modèle est au carrefour de la Sainte Trinité. Il est la poignée de terre noble qui te manquait.
Viens, n’ai pas peur, enfouis-toi dans son giron,
Inadapté sacré, mais pas touche, bas les pattes. “

Nous sommes les Intouchables,
les putains savantes de l’art,
les satyresses de lait,
fouillez dans la confession de nos corps,

mais à bonne distance, hein !

D’ateliers royaux en ateliers piteux,
sur des tapis molletonnés ou des parquets crasseux,
sur trois malingres couvertures,
sur des sellettes en détresse, sur des estrades en fleurs, on pose nos culs royaux.
La pensée busquée derrière les paupières,
on vous observe,
sachez-le,
seulement on ne vous le montre pas.
Gros bras chatouilleux, molosse à la dent molle, vous nous faites bien rire,


sachez-le une bonne fois pour toutes !
Entre nous, ça chauffe sur votre dos.
Il fait si froid parfois dans vos chaumières.
Allons,
limpidifions nos coeurs.
Une rude tâche nous attend.
A partir de la tache
(vous nous traitez parfois comme telle...)
à partir de la tendresse de nos muscles
et de vos systèmes nerveux capricieux,
allons au danger comme on va au bordel.
C’est dangereux, n’est-ce-pas de créer?
Et de faire l’amour aussi.
Avant, on mourrait de faire un enfant!
Allons viens petit frère, accouchons...
Sans mourir si possible.

Nous sommes les astres chevelus de l’art,
les filles de l’arc-en-ciel,
les poupées des artistes,
des Bellmer et des autres.
Nous sommes les candélabres de vos phantasmes. Soufflez-nous sans un merci.

Merci.









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