22 avril 2009

Françoise Renaud : le Pays (texte et photographie)






Un nouvel ordre semble instauré dans la maison d’enfance.

L’épisode de la maladie a dessiné un masque sur le visage de mon père, le repoussant définitivement vers l’autre âge : le grand – le dernier forcément. La pâleur qui le figeait cet hiver – et m’avait inquiétée – a néanmoins disparu. Sa posture est à nouveau ferme, son geste sûr. Il y a seulement davantage de lenteur en lui, comme si le temps à l’entour de son corps avait modifié son écoulement d’un quart. Mais l’été arrive et il tient son jardin au cordeau.

Plants de salades et haricots en croissance, melons sous châssis, tomates au bord de produire. Il me présente l’épouvantail qu’il a planté au milieu de ses fraisiers pour dissuader les merles, le prunier prometteur de récolte.

Je demeure attentive. Attentive à ses affaires, à ses mots.
Je l’observe épiant la rouille sur les rosiers, binant les parterres avec un outil, mangeant ses asperges avec difficulté et râlant après ses dents mauvaises. Je parle de lui avec ma mère, de son allant et de son appétit. Son existence me pénètre avec l’intensité d’un dard en ce temps de vie où chavirent les certitudes, mais je ne parviens pas encore à dire, à lui dire. Il trouve bien normal que je voyage jusque chez lui : voyons, je suis sa fille, et c’est lui le vieil homme. Que ma présence lui procure du plaisir ou non n’est pas une question qui se pose. Juste le jour qui passe, les fruits qui mûrissent et la couleur du ciel.


Comme il se rend à sa partie de cartes, j’en profite pour gagner le rivage, ignorant à quel stade l’océan en sera de sa mouvance.

Marée basse. Léger vent de noroît, falaises grises offrant l’abri.
Pas un chat en ce jour de semaine.


Pour moi l’océan est pareil à une source puissante. Sa présence, sa rumeur. Il est relié aux gouffres de l’origine. Il est relié à mon père, né ici. Et il s’en revient chaque douze heures par-dessus le monde minéral jusqu’à border le territoire des hommes, hors de portée des tourmentes d’équinoxe.
Parfois j’aperçois entre les arbres le clocher de mon village, repère ancestral affublé de gargouilles chimériques que je n’avais jamais remarquées jusque là.


Le rocher, lui, est au front. Il prend la marée, le vent, les orages. Il dessine la côte, anses et promontoires sur lesquels je m’avance jusqu’au vertige.

Soudain je mesure la torture des matières enfouies puis exultées, roches si compressées qu’elles se sont délitées, épousant les noyaux de roche plus résistante et leur conférant des formes d’amande. Des fractures décalent blocs et filons, pans de schiste impressionnant celui qui passe et songe à les observer – car beaucoup ne pensent qu’au soleil et aux endroits où ils vont pouvoir s’allonger pour le prendre jusqu’à se brûler.

L’espace est clair devant moi, vent dans mon cou. Enfance et présent étroitement réunis.

Françoise Renaud © - juin 2008




A suivre à l'automne 2009
« Bretagne de Jade », photos de Françoise Renaud



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http://www.francoiserenaud.com/

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Portrait de l’écrivain en tant que lectrice :

Jogging du désir

De profil
elle fend le vent
sa crinière de feu
se couche en majesté
sur l’horizon de son pull ému
sa respiration se précipite
dans l’avenir de sa nostalgie
au pas crescendo de ses fuseaux
lisses galets noirs des volcans ténus
portée sur les nacres d’un violon lunaire
à se noyer dans les lames d’une mer infinie
sa voix gronde les sommets immaculés de l’absolu
du granit d’où elle est née

Marie-Lydie Joffre
18-12-2008











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